Le Danois Jens Nygaard Knudsen, inventeur de la fameuse figurine Lego, est mort mercredi à l’âge de 78 ans à Hvide Sande, sur la côte Ouest du Danemark. Il était aussi à l’origine du design de la plupart des sets LEGO ESPACE qui m’a fait tant rêver…
Olivier Bonnard, référence française dans l’univers du jouet de collection et auteur du roman COLLECTOR, disponible sur Amazon, nous partage aujourd’hui un article sur une des créations cultes de Jens Nygaard Knudsen, le vaisseau LL 928 !
LEGO TRIP par Olivier Bonnard
« Culte »… Légendaire »… « Mythique »… Les superlatifs pleuvent quand il s’agit du LL 928. Sorti en 1979, ce vaisseau spatial est le fleuron d’une des lignes les plus populaires de la gamme Lego : la ligne Espace.
Cela tient d’abord à la taille de l’engin. Le LL 928 est en effet le plus gros – et le plus cher – d’une flottille de trois vaisseaux comprenant le petit LL 918 et le LL 924, d’une taille intermédiaire. Si les sets, depuis, se sont largement complexifiés, 325 pièces, c’était beaucoup pour l’époque, et le montage du set représentait un défi certain pour un gosse.
VAISSEAU-SURPRISE
Si le LL 928 est si imposant, c’est qu’il abrite en son sein un autre véhicule – une fonctionnalité jusqu’ici inédite chez Lego. L’arrière s’ouvre pour laisser apparaître une petite jeep. Grâce à une trappe amovible, la jeep peut quitter le vaisseau pour s’en aller explorer les planètes étrangères. Le système, jusqu’ici inédit, sera repris sur le set 6929 (Starfleet Voyager), sorti en 1981: là encore, l’arrière s’ouvre en deux. Pas de quoi stocker un véhicule, cette fois mais une simple boîte à outils.
Mais outre sa taille impressionnante et ses fonctionnalités, le LL 928 brille par son design. Il y a quelque chose de très pur, de majestueux dans la ligne de ce vaisseau triangulaire, ainsi que dans la combinaison des couleurs choisies : ce gris et ce bleu, rehaussés de jaune translucide pour le cockpit, qui sont la marque de fabrique de la première vague Lego « Espace ». En observant le vaisseau de profil, on s’aperçoit que les ailes ont l’épaisseur d’une brique Lego : trois épaisseurs de plaques de tailles différentes produisent un effet de dégradé, comme sur les ailes d’un oiseau.
UN SET QUI CASSE DES BRIQUES
Point de stickers à appliquer comme sur les sets modernes, mais des briques imprimées. Parmi celles-ci, deux briques estampillées « LL 928 » – LL pour LegoLand ? De toute la gamme Espace, seuls les vaisseaux LL 918, 924, 928 (on remarquera que le nombre associé augmente avec la taille de l’engin) sont pourvus d’une immatriculation. Chose curieuse, le set n’est sorti sous la référence 928 qu’en Europe ; aux USA, il est connu en tant que set 497 « Galaxy Explorer ». Dans les deux cas, pourtant, il garde ses briques « LL 928 ».
Parmi les autres pièces imprimées, on notera le capot ainsi que quatre briques frappés du fameux logo « Espace », cette planète dont l’anneau figure une flèche, dessiné par Hjalmar Nielsen. Dans la première version du logo, il y avait aussi des étoiles autour de la planète, mais elles ont été retirées car l’ensemble manquait de sobriété. Aujourd’hui, les fans se reconnaissent entre eux grâce à des tee-shirts ornés du seul logo, ou de la brique « LL 928 ».
” LEG GODT”
« Lego » est la contraction de deux mots danois, « leg godt », qui signifie « bien jouer ». Fondé par Ole Kirk Kristiansen, le groupe Lego fabrique des jouets depuis 1932. Il commence à fabriquer des briques de plastique à verrouillage dès 1949, alors que la plupart des jouets sont encore en bois, mais il faudra attendre le 28 janvier 1958 pour que soit déposé le brevet concernant la fameuse brique Lego dans sa forme actuelle. Elle sera nommée deux fois « jouet du siècle ». A juste titre. Les briques à plots sont l’élément de base d’un univers où les possibilités de construction n’ont pour seule limite que l’imagination des enfants.
A l’apparente simplicité de la brique de plastique répond cependant une exigence de qualité redoutable dans le processus de production, avec une marge d’erreur de 0,002 millimètres. Résultat : sur un million de pièces produites, seules 18 sont rejetées. Tout le système Lego repose en effet sur le clutch power, le pouvoir de préhension, cette capacité des briques à s’imbriquer fermement entre elles, tout en pouvant ensuite se séparer facilement. Pour cela, Lego a recours à l’ABS, un plastique résilient, et à des moules qui, une fois usagés, sont coulés dans le béton des nouveau bâtiments du groupe, façon « Soprano ». Il faut ce qu’il faut pour protéger les secrets de fabrication.
1978 est une date clef dans l’histoire du groupe. Outre que c’est l’année qui voit la commercialisation du cultissime Château fort jaune (ref, nombre de pièces), c’est aussi le lancement du thème Espace. Derrière cette ligne, on trouve un certain Jens Nygaard Knudsen. Embauché par LEGO en 1968, c’est l’homme qui inventera la plupart des sets Espace appelés à devenir des classiques (dont le célèbre LL 928), ainsi que les nouvelles pièces créées pour l’occasion, dont les fameuses plaques pourvues de cratères. C’est lui qui mettra au point son identité visuelle, décidant notamment de la combinaison gris/bleu qui caractérise les premiers sets Espace. C’est aussi lui qui inventera la célèbre « minifig », ce petit personnage au visage jaune et souriant, encore produit aujourd’hui. En 1979, les sets Espace sont élus « Jouets européen de l’année ». Le succès de la ligne permet à LEGO d’embaucher 500 personnes supplémentaires, et à Jens de gagner ses galons de Designer en chef.
DANS L’ESPACE, LA GUERRE EST SUBLIME
Au départ, les astronautes (dont les casques sont dépourvus de visière, mais tant pis) sont de deux couleurs : rouges ou blancs. Dans l’esprit des designers, il s’agit d’explorateurs, tandis que les bleus sont des techniciens. Les noirs, introduits en 1984, sont des espions ou des guerriers, mais les designers se gardent bien d’insister sur cette idée, en raison de la stricte politique anti-guerre du groupe. De même, ils n’ont pas le droit de créer des armes. Malins, ils ajoutent radars et autres sondes à leurs vaisseaux, afin de contrebalancer leurs lignes agressives. Les briques vertes resteront d’ailleurs longtemps proscrites, le groupe LEGO ayant peur qu’elles servent à construire des véhicules militaires.
La ligne Espace sera à l’origine de nombreuses innovations. Les premières pièces transparentes colorées, et non pas claires, ont fait leur apparition, de même que les premières pièces articulées. Grâce à des portes, des toits escamotables, on découvrait qu’un vaisseau pouvait en cacher un autre, comme avec le LL 928. Plus tard viendront les briques « Son & Lumière » (1986), ou encore le Monorail Futuron (1987).
LEGO, C’ÉTAIT MIEUX AVANT?
Là où Playmobil a su rester relativement fidèle à la simplicité des débuts, la firme danoise a négocié le virage de l’an 2000 en se lançant dans une politique de franchises tous azimuts. Pour mieux vendre ses sets, elle n’hésite pas, désormais, à s’appuyer sur Dark Vador, Harry Potter ou Spider-Man. D’un point de vue commercial, la stratégie s’est révélée payante : alors que le groupe LEGO, en 2003, essuyait un déficit record de 1,4 milliards de couronnes danoises (environ 188 millions d’euros) qui l’obligeait à licencier 500 personnes, il devient, en 2014, le premier fabricant de jouets au monde. Sur le plan esthétique, rien à dire non plus : les nouveaux sets sont chiadés, c’est indéniable. Mais à tel point qu’on se demande s’ils sont encore faits pour jouer, inventer, ou pour être exposés, voire collés à la glue comme dans la man’s cave de Will Ferrell dans le film « La Grande Aventure LEGO ».
De fait, afin d’accentuer le réalisme des sets, le nombre des pièces spéciales a explosé, réduisant l’inter-connectivité entre les différents sets. Minant l’universalité de la bonne vieille brique de base, à partir de laquelle il était possible de construire tout et n’importe quoi. En assurant sa survie économique, la firme danoise n’a-t-elle perdu un peu de son âme ? Heureusement, il reste le vintage et le charme inégalable de ses boîtes à tranches jaunes. La ligne Espace, notamment, qui incarne à elle seule l’âge d’or de LEGO. Avec le LL 928 en fer de lance.